Quel avenir pour la Conchyliculture sur le Bassin d’Arcachon ?
Avenir de la Conchyliculture sur le Bassin d’Arcachon
Dans le cadre des “Grands entretiens” réalisés avec Yoan GODICHAUD ( producteur au Cap Ferret et président de l’association des ostréiculteurs de la fête Noroit) et Olivier LABAN ( producteur à Gujan-Mestras et président du Comité Régional de Conchyliculture du bassin d’Arcachon, Hossegor et Médoc), Jean Marc DUMAS nous propose cet article riche en précisions et très complémentaire aux vidéos des grands entretiens à retrouver sur notre chaine Youtube ou notre site Internet.
Jean-Marc, à toi la parole !
Interviews par Jean-Marc DUMAS et Thiery NADÉ de TV Cap Ferret
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Les enjeux de la conchyliculture sur le bassin d’Arcachon
Pour comprendre les enjeux d’un secteur économique, identitaire et patrimonial incontournable du Bassin d’Arcachon, nous avons rencontré plusieurs représentants de la filière, Yoan Godichaud, Président des Ostréiculteurs de la Côte Noroit et sa conjointe Chloé Madalozzo, ostréiculteurs propriétaires de La Kabane au Cap Ferret, ainsi qu’Olivier Laban, dirigeant de la Compagnie Ostréicole à Gujan-Mestras, Président du Comité Régional Conchylicole Arcachon Aquitaine et Vice-président du Comité National de la Conchyliculture, des ostréiculteurs engagés pour la communauté.

Les vidéos des Grands Entretiens avec Olivier Laban et Yoan Godichaud
Retrouvez les épisodes des entretiens réalisés avec Olivier Laban et Yoan Godichaud sur notre chaine @YouTube
Visite des parcs à huitres de Yoan Godichaud – La Kabane
Cela commence par un voyage en tracteur, un matin de juin. Ciel un peu voilé, et comme souvent en ambiance marine, la petite laine est bienvenue. Au détour du Mimbeau, la beauté du Bassin d’Arcachon se révèle à nous. Devant, la dune du Pilat, derrière, le phare du Ferret, et des parcs à huîtres à perte de vue. Yoan, qui nous a invité à partager son quotidien, ne se lasse pas du spectacle, tout comme nous d’ailleurs ! C’est un métier physique, dur parfois, par tous les temps, rythmé par les marées et les saisons… Gérer une entreprise ostréicole, c’est un engagement, un véritable sacerdoce, les agriculteurs de la mer, avec son lot de satisfactions mais aussi beaucoup de contraintes.

Histoire de l’ostréiculture sur le bassin d’Arcachon

Car on ne devient pas ostréiculteur par enchantement. D’abord aller à l’école, apprendre les rudiments, pour « cultiver » la Magallana gigas, un produit d’exception, la variété d’huître locale la plus présente en France, une longue histoire de la table du roi de France à nos assiettes d’aujourd’hui, de la gravette endémique jusqu’à l’huître creuse japonaise en passant par la portugaise. Au 19ème siècle, Victor Coste, le père de l’ostréiculture moderne, naturaliste et médecin particulier de l’impératrice Eugénie et de Napoléon III – qui le missionne pour étudier la production des gisements naturels d’huîtres, développe des expériences d’huîtrières artificielles, notamment à Arcachon : les Parcs Impériaux. Un peu plus tard, ce sera Jean Michelet, un maçon arcachonnais, qui innove et révolutionne la technique du captage en milieu naturel des naissains, en utilisant des tuiles chaulées, permettant de fixer les larves et de les détroquer sans les blesser.
Devenir Ostréiculteur
Yoan nous explique qu’après des études au CFA d’Andernos, il rejoint Catherine Roux, une figure du monde ostréicole du Bassin depuis 1998, pionnière des dégustations dans les cabanes au Ferret. Pendant 15 ans, il apprend avec elle le métier, du captage des naissains à la commercialisation, en passant par les nombreuses manipulations (les poches où grandissent tranquillement les huîtres sont manipulées en moyenne 2 à 3 fois par an), le dédoublement des poches pour laisser s’engraisser ce lamellibranche, les échaudages pour éliminer les petites moules et huitres qui se collent sur les poches et les huitres adultes (selon l’âge de l’huître, un trempage bref de 2 à 3 secondes dans de l’eau de 65 à 90 degrés Celsius), et toutes les subtilités de ce produit aux saveurs variées ! En bref, la vie de ce mollusque marin bivalve (famille des Ostreidae), mais également les bases indispensables et le savoir-faire pour gérer une petite société avec toutes ses facettes, technique, commercialisation, vente, gestion des ressources humaines, règlementation, aspects sanitaires, etc.
Le grand saut !
Et puis un jour, Yoan et Chloé, nos deux jeunes entrepreneurs de talent sautent le pas, s’installent et rejoignent les 300 autres professionnels sur le Bassin. Bien que n’étant pas d’une famille d’ostréiculteurs, ils côtoient ce milieu depuis leur plus tendre enfance. D’une modeste superficie, au fil de l’acquisition de concessions au Ferret, au Grand Banc et à Arguin, il se retrouvent désormais à la tête de plus de 4 hectares de parcs, offrant à leurs clients une large palette de goûts et textures, qui font de leur production un quasi produit de luxe !


Échaudage d’huitres
Terroir et vinification ostréicole
Une fois sur place, dans un rapide coup d’œil autour de nous, Yoan nous explique le brassage historique sur les concessions avec ses confrères et voisins, notamment sur le Ferret où il côtoie Gujanais, Testerins, Andernosiens… La métaphore n’est jamais très loin dans notre sud-ouest viticole, Yoan nous parle avec passion de terroirs et de vinification ostréicole, en général environ 3 ans de lente maturation du naissain jusqu’au produit consommable (majoritairement taille 4 à 2, sans oublier les fameux bonbons… !), de l’huître plus charnue d’Arguin, grâce à l’estran ultra riche en phytoplancton, le nutriment de l’huître, à celle bercée par les vagues et les courants dans sa balancelle, ou encore la spéciale élevée en panier australien au Ferret et régulièrement exondée, bref une identité forte et appréciée sur les tables des plus grands restaurants.


Un mollusque que l’on élève avec soin
C’est l’ostréiculteur aux mille idées qui nous parle, mais aussi le Président du Syndicat Ostréicole de la Côte Noroît : il suffit de trainer à marée basse du côté de ses concessions, pour le trouver en pédagogue, expliquer avec enthousiasme à quelques estivants curieux, les raisons de la forme et du charnu du bivalve savoureux, combien le panier de nos amis Down Under a bouleversé la profession grâce à son ingénierie très pensée, sans oublier les prédateurs naturels comme les bigorneaux-perceurs, crabes, daurades ou raies qui raffolent de ces mollusques, ou encore les « préleveurs indélicats » qui pillent parfois les parcs… Avant de finir dans nos assiettes, les huîtres font un court passage en claire de stockage réfrigérée (contribuant accessoirement au dégorgeage), au contraire des Marennes-Oléron, où les claires en terre peaufinent l’affinage et l’apport en marennine, un pigment bleu-vert local produit par une microalgue, la navicule bleue, qui donne cette couleur verte caractéristique.
La nécessaire qualité des eaux du bassin
Bien entendu, l’excellente qualité des eaux du bassin est fondamentale pour la filière conchylicole, à 98% classée A – soit le plus haut niveau de qualité, grâce à la réalisation dès 1968 d’un projet titanesque de collecte et traitement des eaux usées, puis plus tard de façon différenciée, des eaux de pluie, de l’ensemble des territoires autour du bassin, sous l’égide du Syndicat Intercommunal du Bassin d’Arcachon, le SIBA. Ce réseau d’assainissement, dont la seule autre réalisation similaire en France est située autour du lac d’Annecy, est aujourd’hui fort de plus de 1200 km de canalisations, 450 postes de pompage, 7 bassins de sécurité et 3 stations d’épuration, auxquelles s’ajoute une station spécifique à l’entreprise Smurfit Kappa, ainsi qu’une station à Cazaux, et dont les effluents traités rejoignent le flux de l’émissaire de rejet en mer, au wharf de la Salie.

Des jeunes générations engagées
Yoan et Chloé sont les représentants de la jeune génération d’ostréiculteurs, engagés et déterminés, à la fois respectueux de la tradition, mais également soucieux du confort de leurs employés, évoquant les problèmes de logement notamment dans la presqu’ile du Cap Ferret, la pénibilité avec la recherche d’une mécanisation adaptée, ou encore comme dans les vignes hautes, l’élévation progressive mais inévitablement limitée des « chantiers », ces structures métalliques sur lesquelles reposent les poches d’huîtres. Parallèlement, la féminisation de la profession, bien que lente, concerne aujourd’hui toutes les fonctions, y compris celle de cheffe d’entreprise.

Impact du Changement climatique
Parler d’environnement dans un écrin fragile comme le Bassin d’Arcachon, c’est aussi aborder les phénomènes liés aux changements climatiques. Que ce soit Yoan Godichaud ou même Olivier Laban, que nous avons rencontré quelques jours plus tard (voir sur TV Cap Ferret, le triptyque réalisé après son interview passionnante et lucide), le bon sens paysan de la mer parle de lui-même, détaillant les enjeux auxquels la filière est confrontée, se référant à la légendaire capacité d’adaptation des professionnels de la conchyliculture à tous les challenges… et ils ont été nombreux et souvent d’apparence, insurmontables !
À propos de la mortalité des huitres
Mortalité inexpliquée, années sans captage naturel des naissains, épizooties dévastatrices, notamment en 1920 et 1970, apparition de nouveaux pathogènes… Puis la quête d’une nouvelle variété d’huîtres dans le monde entier, de Vancouver au Canada à Sendai dans la préfecture de Miyagi au Japon (la Crassostrea gigas, d’aujourd’hui), problèmes de pollution dès la fin des années 50, réponse technologique, scientifique et avant tout politique de responsables et élus locaux.

La conchyliculture sur le bassin : un écosystème fragile
De la mise en place d’un système pollueur/payeur pour responsabiliser les citoyens du territoire, aux prouesses du SIBA pour maintenir la qualité des eaux, chaque voix compte pour maintenir un écosystème pérenne et valorisant pour la communauté toute entière, y compris pour l’estivant et le consommateur avisé en quête de sensations gustatives exceptionnelles. Le seul gros grain de sable dans la chaussure des professionnels du secteur, c’est cette algue naturelle toxique communément appelée « algue du printemps », le dinophysis, qui naît au Pays Basque, remonte le long des côtes vers le nord, pénètre dans le bassin d’Arcachon où elle contamine les huîtres, les moules et les coquillages, coques et palourdes, et qui selon l’efflorescence de l’algue, peut les rendre impropres à la consommation pour plusieurs semaines.
Transition énergétique
Bien que la typologie des activités de la filière ne lui laisse qu’une faible marge de manœuvre, en particulier dans des villages de pêcheurs classés au patrimoine, hormis quelques panneaux solaires anecdotiques et l’élimination des matériels les plus anciens, précisément au profit de moteurs de bateaux plus récents, les professionnels de la mer ne sont pas en reste dans la vague de transition énergétique qui impacte tous les secteurs économiques.
la sobriété énergétique
Tout d’abord, rechercher une plus grande sobriété dans tous les domaines, donc employer des moyens moins énergivores, ce qui représente un nouveau challenge assez paradoxal sous nos latitudes, par l’utilisation quasi systématique en été de claires réfrigérées, entrainant une consommation importante d’électricité, afin de garantir la qualité des produits consommables. Ensuite, c’est une affaire de bon sens, comme à la maison, éteindre la lumière en partant ! Pour parler précisément de l’élévation de la température, qu’on appelait à une époque le « global warming », Yoan nous rassure quand à l’adaptabilité des huîtres qui semblent s’en sortir très bien, il se veut rester optimiste sur cet aspect.

La plaisance nautique
Comment parler ostréiculture sans parler de cohabitation avec la plaisance, dans un coin très prisé des amateurs de navigation en toute liberté. La problématique reste simple, notamment en été, comment promouvoir le savoir-vivre entre des communautés importantes et très différentes, plaisanciers et professionnels imbriqués dans les zones de loisirs (baignade, plaisance, sports nautiques comme le kayak et le paddle, etc.), sans oublier le nécessaire refueling en haute saison, le carénage des bateaux, etc. Tous s’y emploient, les Affaires Maritimes, la section régionale conchylicole et les ostréiculteurs, essayant de trouver des solutions du bien vivre ensemble, en particulier grâce à un balisage des parcs plus visible, évitant ainsi les intrusions qui pourraient endommager les parcs mais également les bateaux des plaisanciers, avec concomitamment le nettoyage des friches et la réhabilitation des concessions abandonnées.

Un métier ouvert à toutes et tous
La filière recrute, même si elle a du mal à attirer les jeunes comme dans tous les métiers exigeants, mais son meilleur argument n’est-il pas un cadre de travail exceptionnel, à ne rien envier aux pilotes de ligne qui décrivent leur cockpit comme le plus beau bureau du monde ?
Les dégustations dans les cabanes
Le fait de travailler un produit noble, vivant, qu’on voit grandir, avec la satisfaction des compliments des clients, voilà bien de quoi motiver des jeunes et moins jeunes. Il est tout de même remarquable de rencontrer des acteurs à la tâche 12 mois de l’année, fiers de produire localement un met d’exception, de luxe même, mais également abordable à toutes les bourses, défendant au passage leurs villages ostréicoles pour leur originalité, leur charme, et l’ambiance unique qui y règne, à en voir le succès des nombreuses cabanes de dégustation, comme La P’tite Kabane, domaine réservé de Chloé la compagne de Yoan, un coin de paradis niché sur la conche du Mimbeau, face au Pyla-sur-Mer…


Conclusion
Pour conclure, Yoan nous dit : « Pour manger des huitres, il faut avoir le moral et être heureux… ! ». Peut-être pourrions-nous rajouter, que manger des huîtres rend encore plus heureux…
Dans un ouvrage remarqué, intitulé tout simplement : Huîtres, l’auteure Anaïs Delon écrit :
« L’empreinte de l’ostréiculteur est présente dans chaque rencontre. Ces femmes et hommes préservent le meilleur de ce que la nature peut offrir […], les sentinelles des écosystèmes lagunaires et salés de France. »
Qu’elles proviennent d’Arguin, du Grand Banc, du Canelon, de Courbey ou encore Mouille Coude pour le naissain de qualité, continuez de ravir nos palais délicats, en perpétuant un métier traditionnel d’excellence.
Les vidéos des Grands Entretiens avec Olivier Laban et Yoan Godichaud
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